Quand le passé ressurgit comme un fantôme blafard
Bon, vous savez déjà que je me nomme Crinière et que mes parents m’ont ainsi nommée à cause (ou grâce) à l’abondante chevelure qui recouvrait ma frimousse dès la naissance, vous savez aussi que je n’aime pas trop les Alliés (vous comprendrez bientôt pourquoi) et que faire crépiter des sorts dans tous les sens est un plaisir sans cesse renouvelé. Quoi d’autre ? Ah oui, j’ai la langue bien pendue et toujours un démon à mes basques… ça c’est pour aujourd’hui… mais quid du passé !?
Allez, je découvre un coin du voile.
Or donc, c’est la campagne des Bois des Chants Eternels qui me vit naître, un petit village non loin de Lune-d’Argent. Mon père était chasseur et ma mère couturière, enfin, quand je dis couturière, elle était avant tout mage, mais elle avait décidé de mettre ce type d’activités de côté pour se consacrer à son mari et à sa famille. Nous étions cinq à la maison, mes parents, mon grand frère, ma petite sœur et moi… et la vie s’écoulait, paisible, loin du bruit et de la fureur de la grande guerre qui avait ravagé tant de nos forêts, tant des nôtres… Mon père chassait, ma mère cousait, tantôt pour eux, tantôt pour la Capitale. Je devais apprendre quelques années plus tard qu’ils étaient tous les deux Maître dans leur profession et qu’ils étaient particulièrement recherchés pour leurs conseils, leurs créations, leur art ! Je suppose que cela explique aussi l’aisance dans laquelle nous étions… mais toute route à son tournant, j’y arrive, malheureusement !
Mon frère étudiait l’art de la guerre à la Capitale, réminiscence de ses lointains aïeuls, il voulait bouter dehors humains, nains et autres dégénérescences, envahisseurs de nos terres. Moi, je voulais faire comme maman ! Magie et couture ! Encouragée par mes parents et ayant montré quelques dons, je rejoignis mon frère à Lune-d’Argent, et pendant qu’il apprenait à se battre, j’apprenais à maîtriser l’énergie magique appelée Mana. Tout se passait bien, le monde évoluait bien, la nature se redressait et la félicité semblait nous sourire…
Le soir de mes vingt printemps, nous étions tous réunis à la maison pour célébrer ce joyeux événement quand le drame se produisit : des bruits de ripailles venant du jardin nous arrivèrent aux oreilles, mon père et mon frère se levèrent d’un bond pour regarder par la fenêtre : une bande disparate d’humains avaient décidé de faire une incursion dans le village pour se servir de nos plus beaux légumes, voire même de piller nos maisons. Comme nous étions en bordure, nous fûmes évidemment la première maison visitée. Mon père se précipita sur son arc, mon frère sur son épée et très vite le sang gicla de ces larrons en ribaude. Ma mère se précipita sur ma jeune sœur et la prit dans son giron tandis que je courrai prévenir les voisins sur l’ordre de mon père.
Dehors, cela tournait au carnage.
Il ne me fallut que quelques minutes pour rameuter nos voisins les plus proches, malheureusement, ces minutes furent trop longues et… fatales. Quand nous revinrent dans le jardin, mon père et mon frère baignaient dans leur sang au milieu de six cadavres ennemis. Ma mère ainsi que ma sœur avaient disparu, emmenées au loin par cette bande d’assassins. Les yeux aveuglés de larmes, je me lançai à leur poursuite, voyant encore dans le lointain une dizaine de silhouettes qui en portaient deux autres, inconscientes. Trébuchant sur une racine, ma dernière vision avant de sombrer dans l’inconscience vu de les voir embarquer sur le bateau qui les attendait sur la côte. Quelques instants plus tard, la mort dans l’âme, je revins sur mes pas pour accompagner mon père et mon frère jusqu’aux portes de la mort.
J’aurais aimé les franchir avec eux, mais le souvenir de ma mère et de ma sœur, vivantes, aux mains de ces chiens, me retint en ce bas monde… et c’est là, à cet instant que je décidai de devenir Démoniste, destructrice de surcroit !
Dussé-je parcourir la terre entière, je retrouverai ces immondes pourceaux et s’il me faut pour cela me tailler un passage de sang au travers de tout corps humain qui se dressera devant moi, je le ferai avec une joie sombre…
Et que coule le sang impur…
Et qu’il abreuve la terre nourricière…