Le soleil de la mi-journée darde ses implacables rayons sur la savane des Tarides. Khyss mène son cheval au pas, consciente de la fatigue de l’animal. L’odeur de la bête mêlée aux effluves du métal chauffé émanant de sa lourde armure commencent à l’indisposer légèrement. L’Elfe saute au bas de son cheval, soulevant un nuage de poussière, fait quelques mouvements pour étirer ses muscles raidis et frotte son derrière endolori par la longue chevauchée. Elle jette un regard haineux au soleil, à l’abri sous sa main. « Foutu soleil », marmonne-t-elle, « ça ne sert à rien, ça donne chaud, ça donne soif…Foutue démoniste qui m’envoie enquêter dans la pampa ! ». Elle brandit un poing menaçant en direction du ciel, regrettant presque les glaces du Norfendre.
Fouillant à tâtons dans la besace sanglée à sa selle, elle en ressort sa main sur laquelle s’est greffé un amalgame collant au parfum doucereux et sucré. « Foutues pâtes de fruits qui fondent au soleil ! » Tendant négligemment la main-friandise à son cheval pour un nettoyage sommaire, elle observe le paysage familier, heureuse malgré tout de refouler le sol de Kalimdor. Elle essuie insoucieusement sa main désormais baveuse sur le flanc du cheval, faisant mine de flatter la bête en sifflotant. Finalement, elle extrait une gourde de rhum et une fiole de potion de mana de son paquetage. Avec une dextérité qui trahit l’habitude et l’expérience, elle verse le liquide bleu dans la gourde et en vide le contenu à grandes goulées. Gloussant de contentement, elle range son « nécessaire de soin » dans son bagage. Les doigts de l’Elfe entre alors en contact avec un objet lisse et frais, et elle vérifie prudemment qu’aucun être vivant ne rôde dans les parages avant de le sortir de son sac. Un petit miroir, minuscule et discret, preuve honteuse d’une coquetterie propre à son espèce et qu’elle a encore du mal à combattre. Si un Légionnaire la surprenait en train de rectifier son apparence…Elle observe son reflet, notant les sillons que la sueur a tracé sur son visage poussiéreux. Passant une main dans la masse de ses cheveux, elle remet vaguement en place les longues mèches épaisses et agglomérées, ornées de petites perles en os et d’une plume défraichie. Elle se souvient d’un petit point d’eau de l’autre côté de la colline, juste ce qu’il faut pour un débarbouillage rapide. Avisant un arbre rachitique qui offre une ombre toute relative, elle y attache les rênes du cheval et contourne le modeste relief naturel.
La mare de ses souvenirs est asséchée, elle peut voir le sol craquelé et durci, témoin de la disparition brutale de l’eau. « Bah merde alors ». Khyss jette un regard alentour en fronçant les sourcils, essayant de repérer quelle stupide et énorme bête avait bien pu vider le point d’eau pour s’hydrater. Elle remarque alors une fine ligne dans le sol, sombre et irrégulière qui se développe vers l’Est. Les yeux rivés sur le bout de ses bottes, elle s’applique à ce que chacun de ses pas se pose bien sur les zigzags imprimés dans la terre. Elle constate avec étonnement que le tracé s’élargit progressivement et au bout d’une centaine de mètres, elle se résout à lever les yeux pour observer l’anomalie dans son ensemble. Ses lèvres s’ouvrent une expression stupéfaite en découvrant la faille qui se développe devant elle. « Woa ! C’est quoi ce bordel ?! ». La fracture dans le sol s’étend à perte de vue, vaguement obscène, vraiment inquiétante. Elle la suit encore sur une centaines de mètres en prenant bien soin de ne pas rester trop près du bord. La terre se met soudain à trembler et elle se jette à plat ventre sur le sol chaud et odorant. Ses dents s’entrechoquent douloureusement sous la violence de la secousse et elle laisse échapper un grognement de peur et de douleur. Lorsque le sol cesse enfin de bouger et que l’horizon semble avoir retrouvé une courbe normale, elle se remet lentement debout, les jambes tremblantes. « Ça craint ! ». Elle s’approche à nouveau de la faille, sensiblement élargie, et jette un œil furieux mais prudent dans le gouffre étroit. L’odeur de souffre et la chaleur qui s’en dégage lui font froncer les sourcils et plisser le nez. « Yerk ! Ça sent le grang’orc là dedans ! Bon bah voilà, Ombremort sera contente, j’ai un truc à lui raconter. Allez hop, au rapport !». Repartant d’un pas plus léger en direction de la petite colline, elle fredonne une comptine depuis longtemps oubliée, une histoire de chat trop curieux donc mort, une histoire qui finit mal.
Lorsque la secousse suivante la surprend, alors qu’elle s’amuse à sauter de part et d’autre de la faille en chantonnant, elle a juste le temps de brailler un dernier juron, d’une vulgarité inouïe et tout à fait inapproprié pour une dame, avant de disparaître dans les ténèbres.